Comment faire des revendications efficaces
qui deviennent acceptables pour l'opinion publique
Un
but de l’action collective est d’exprimer une revendication
politique et les arguments en faveur de celle-ci.
Pour
qu’une revendication soit efficace et puisse être acceptée par
l’opinion publique, le public doit être capable de lier une
revendication à un principe connu, afin que la revendication semble
être la continuation de quelque chose de déjà existant. Cela
signifie qu'un bon argument pour défendre une revendication est un
argument qui garantit l'insertion du point de vue du destinataire du
message dans une structure connue. Une telle structure peut être un
principe moral communément admis par la société, comme le refus de
la violence.
Pour
être compris par l'opinion publique un argument doit donc tirer ses
origines de représentations préexistantes dans l'esprit du public.
Et les représentations que nous souhaitons transmettre doivent
s'ancrer dans les représentations disponibles.
Les
principes communément acceptés jouent un rôle de filtre cognitif :
seulement les revendications qui entrent dans ce filtre peuvent être
comprises et acceptées par le public.
Il
est important de faire entrer les revendications radicales par ce
filtre cognitif afin qu'elles puissent entrer dans la sphère du
débat public. Lorsque ce n’est pas le cas, les personnes exprimant
la revendication sont étiquetées comme étant extrémistes et leur
message n’est pas entendu par la société ou est grossièrement
défiguré. Alors qu’en les liant à des principes moraux
communément admis, elles sont bien plus facilement acceptées par
les médias ainsi que l’opinion publique.
Exemples :
Structure
connue : Egalité et refus des
discriminations
Revendication : Les pratiques spécistes doivent être éliminées
Revendication : Les pratiques spécistes doivent être éliminées
Argumentation :
Notre
société est pour l'égalité et contre les discriminations. Le
sexisme et le racisme sont aujourd'hui considérés comme arbitraires
et injustes, car peu importe de quelle « race » ou de
quel genre nous sommes, nous avons des intérêts à protéger et
nous voulons tous éviter la violence et la loi du plus fort. Et les
humains ne sont pas les seuls à avoir des intérêts ou à vouloir
éviter la violence ou la loi du plus fort, c'est aussi le cas des
animaux. Beaucoup d'auteurs qui ont analysé notre relation à
d'autres animaux ont trouvé qu'elle est basée sur le spécisme, ce
concept peut être compris par analogie avec le racisme et le
sexisme, et représente l'idéologie qui considère que la vie et les
intérêts des animaux peuvent être négligés, simplement parce
qu’ils appartiennent à une autre espèce. Ces auteurs concluent
que le spécisme est une discrimination irrationnelle et injuste
puisque les êtres humains et les autres animaux ressentent des
émotions et que, concernant notre capacité à ressentir la
souffrance, nous sommes égaux. Cela signifie que considérer les
animaux comme une simple ressource est spéciste et erroné. La
justice exige que nous respections la vie et les intérêts des
animaux en éliminant toutes les pratiques qui violent leurs intérêts
simplement parce qu'ils proviennent d'une autre espèce.
Structure
connue : La violence est
injuste
Revendication : Les abattoirs doivent fermer
Revendication : Les abattoirs doivent fermer
Argumentation :
Notre
société condamne la violence. Frapper sans raison ou tuer sont des
infractions pénales, car si nous pouvons éviter l'agression, nous
sommes obligés de le faire. La violence contre les faibles est
condamnée encore plus violemment. Et tout le monde convient que les
animaux peuvent aussi souffrir de la violence et sont clairement
faibles comparés aux humains et à leur technologie. Néanmoins, les
abattoirs constituent la concrétisation la plus effroyable de la
violence contre ces êtres sans défense. Notre société dit que la
brutalité est mauvaise, pourtant elle tue des milliers d'animaux innocents
chaque jour. Dans le même temps, des millions de véganes et
végétariens dans le monde montrent qu'il n'est pas nécessaire de
tuer les animaux pour la nourriture, ce qui signifie que la violence
des abattoirs est injustifiable. Les principes fondamentaux de
non-violence et de protection des faibles doivent être respectés.
Les pratiques injustes et violentes du passé ont été abolies ou
réduites, telles que l'esclavage ou la torture publique. Ils étaient
également ancrés dans la conscience collective au point que
certains pensaient qu'ils étaient éternels. Mais l'histoire a
montré le contraire, parce que l'évolution morale des êtres
humains est un phénomène qui persiste au fil du temps et on peut
facilement imaginer qu'un jour les abattoirs seront considérés
comme un symbole d'injustice et de barbarie. Commencer à les fermer
aujourd'hui est exigé non seulement par nous mais par les milliers
d'animaux dont la gorge est coupée en ce moment même dans une
société qui ne condamne la violence qu'avec des mots.
Structure
connue : La loi du plus fort
est injuste
Revendication : Les animaux ne doivent plus être considérés comme du matériel biologique
Revendication : Les animaux ne doivent plus être considérés comme du matériel biologique
Argumentation :
Tous
s'accordent à dire que la loi du plus fort est injuste et que
personne ne voudrait être réduit à l'état de chose par quelqu'un
de plus puissant. Imaginez par exemple qu'en lisant attentivement ce
texte, une soucoupe volante surgisse à proximité. Elle est équipée
de mécanismes technologiques très compliqués et a été construite
par des êtres plus intelligents que les humains. Alors que vous
continuez à lire, vous entendez soudainement un bruit étrange, vous
vous retournez et vous vous rendez compte que les êtres humanoïdes
vêtus étrangement vous approchent. Ils ont des outils menaçants.
Vous commencez à paniquer et soudainement vous obtenez une sorte de
décharge électrique qui vous blesse et vous oblige à aller de
l'avant. Ces extraterrestres vous forcent à entrer dans un véhicule
singulier. Il fait sombre mais vous pouvez voir d'autres humains qui
ont peur comme vous. Vous sentez que le véhicule bouge, mais vous ne
savez pas où il va. Soudain, il s'arrête et les extraterrestres
ouvrent la porte. Ils vous forcent à sortir avec les mêmes outils
qui vous font souffrir. Vous arrivez dans un endroit macabre où vous
voyez des cages et entendez des cris. Vous avez peur. Ces étrangers
vous mettent dans une cage, vous êtes totalement horrifiés, vous
luttez avec toute votre énergie, mais c'est inutile. Ces
extraterrestres veulent vous utiliser comme matériel biologique pour
leurs expériences afin de sauver des vies extraterrestres. Malgré
le fait que ces extraterrestres ont un QI moyen de 3’500 et ont
certaines capacités développées qui manquent aux humains, vous
pensez probablement que ces pratiques sur des êtres humains
innocents, effectuées juste parce qu'ils sont moins intelligentes et
plus faibles que ces extraterrestres sont injustes et doivent être
arrêtées. Cela s’explique par le fait que nous sommes tous contre
la loi du plus fort. L’on pourrait même argumenter que puisque ces
extraterrestres sont plus intelligents, ils devraient plus facilement
comprendre que leurs actions sont injustes. La même chose est vraie
pour notre utilisation des animaux dans les laboratoires: éthiquement
la situation est identique dans les deux cas. Si les expériences
faites par ces extraterrestres sont injustes, alors notre utilisation
d’êtres sensibles en tant que simple matériel biologique est
également injuste parce qu'elles sont toutes deux des manifestations
de la loi du plus fort qui doit être éliminée dans toute société
civilisée.
Structure
connue :
Il faut lutter contre la crise environnementale et se baser sur la
science
Revendication : Les animaux doivent être considérés comme nos concitoyens
Revendication : Les animaux doivent être considérés comme nos concitoyens
Argumentation :
En
ces temps de crise environnementale, où nous critiquons avec de plus
en plus de véhémence des pratiques comme la déforestation ou la
pollution des rivières et des océans, nous pouvons facilement
comprendre qu'elles sont les conséquences logiques de la domination
des humains sur tous les autres êtres sensibles de la planète. Si
les humains respectaient les animaux en tant qu'êtres sensibles
ayant une valeur inhérente qui ne peut être violée pour les
besoins futiles et commerciaux des humains, nous ne nous permettrions
pas de détruire leur habitat en abattant les forêts ou en polluant
l’endroit même où ils vivent. Parallèlement à cela, nous
pouvons voir que les éthologues ont récemment trouvé que la
conscience de soi, longtemps considérée comme caractéristique des
humains, n'est pas seulement présente chez les singes, les dauphins
et les éléphants, mais est même commune chez certains oiseaux
comme les pies qui peuvent également se reconnaître dans le miroir.
De qui cette planète est-elle l'environnement? Pour qui doit-elle
devenir un lieu durable? Les humains ne sont pas les seuls habitants
sensibles de la Terre. D'autres animaux ont également intérêt à
profiter de leur vie et à avoir un habitat conforme à leurs
besoins. Désormais, nous ne pouvons plus continuer à considérer
les animaux comme une ressource ou comme de simples fonctions d'un
écosystème. Ce sont des êtres individuels qui ressentent des
émotions, ont leurs propres intérêts et désirs. Il est temps pour
nous de les considérer comme nos concitoyens avec qui nous
partageons cette terre.
Ces
exemples montrent que les principes moraux communément admis
permettent de rendre acceptables les revendications des activistes
auprès de l'opinion publique.
Cet
article est basé sur la lecture de l'ouvrage de sociologie
"Argumenter dans un champ de forces", Francis
Chateauraynaud, éd. Petra, 2011.
No comments:
Post a Comment