Thursday, May 15, 2025

Changement sociétal

15/05/2025

ABSTRACT:

Cet article propose une analyse de la littérature sociologique portant sur la construction sociale des problèmes publics, en mettant en lumière les mécanismes qui favorisent l’émergence de certaines questions au sein du débat public. Il ressort de cette littérature que ce ne sont pas l’importance objective ni les caractéristiques intrinsèques d’un enjeu qui déterminent son accès au statut de problème public, mais bien une série de dynamiques sociales, parmi lesquelles la médiatisation occupe une place centrale. À partir d’une synthèse des travaux majeurs dans ce champ, l’article identifie les principaux facteurs intervenant dans la construction des problèmes publics et souligne le rôle stratégique que peuvent jouer les mouvements sociaux en mobilisant ces dynamiques pour faire progresser leurs causes de manière efficiente.


Introduction

Un être vivant capable de ressentir du plaisir a un intérêt à continuer à ressentir du plaisir. Pour pouvoir continuer à ressentir du plaisir il faut vivre. Les êtres vivants capables de ressentir du plaisir ont donc un intérêt à vivre. Cet intérêt existe. C'est objectif. Il doit donc être respecté. Toutes les personnes qui ont lu ce texte le savent. Et vous qui lisez également ce texte savez qu'elles le savent. Toutes les personnes capables d'agir moralement et conscientes de l’existence d’une injustice majeure au sein d’une société a l’obligation morale d’agir de manière efficace afin d’éliminer cette injustice dans les plus brefs délais. Pour pouvoir remplir ce devoir d’action efficace, l’agent moral doit acquérir une connaissance des mécanismes sociologiques qui permettent l’élimination d’une injustice dans une société. Autrement dit, l’obligation morale de supprimer une injustice implique une obligation procédurale d’apprendre les mécanismes qui rendent possible l’élimination des injustices à l’échelle sociétale. Il s'agit d'une concrétisation de l'éthique appliquée.
C’est la sociologie de la construction sociale des problèmes publics — ou sociologie des problèmes sociaux — qui étudie le processus par lequel certaines questions sont identifiées comme des problèmes publics et deviennent l’objet d’une action politique. Selon les sociologues, les problèmes reconnus par la société et les autorités comme relevant du domaine public n’accèdent pas à ce statut en raison de leur importance objective, mais en vertu de certaines dynamiques qui s’opèrent dans le cadre du débat sociétal (Becker H. (dir.), 1966, Social Problems : A Modern Approach, New York, John Wyler; Patrick Hassenteufel, « Les processus de mise sur agenda : sélection et construction des problèmes publics », Informations sociales 2010/1 (n° 157), p. 50-58., p. 51). Dans notre société, de nombreuses personnes réalisent l’injustice de tuer les animaux pour de simples habitudes alimentaires et doivent donc apprendre comment éliminer cette pratique au niveau sociétal. Le présent article se basera donc sur cet exemple, même si, de manière évidente les mécanismes sociaux examinés s’appliquent pour tout autre sujet.


I. Trois dynamiques par lesquelles un problème se métamorphose en problème public pris en charge par les institutions étatiques


a. Mobilisation collective

La première dynamique du processus transformant une question en problème public est la mobilisation collective, également appelée « participation populaire » par certains sociologues (Roger W. Cobb et Charles D. Elder, Participation in American politics : the dynamics of agenda-building, 1983, p. 163). À ce stade, certaines personnes qui considèrent qu'une question est un problème commencent à formuler publiquement une revendication politique affirmant que le problème doit être éliminé par l'État ou par une société accusée d'être responsable du problème. Très logiquement, pour voir un jour l'élimination d'un problème, il faut au préalable affirmer publiquement et clairement que ce problème doit être éliminé. Tout comme les avocats doivent formuler des conclusions précises dans leurs actions en justice pour que le juge leur accorde ce qu'ils demandent pour leur client, de même les acteurs sociaux doivent formuler des revendications précises pour obtenir la transformation qu'ils souhaitent (  William L.F. Felstiner, Abel, R. L., & Sarat, A. (1980). The Emergence and Transformation of Disputes: Naming, Blaming, Claiming . . . Law & Society Review, 15(3/4), 631–654, p. 636). Cette revendication peut être associée à des manifestations, des actions violentes, des actions symboliques pacifiques, des pétitions, des lettres à l'éditeur, des boycotts, des grèves, etc. La mobilisation vise à rendre la revendication plus visible pour le public, à attirer l'attention et la sympathie de l'opinion publique et des médias, et à défendre publiquement la revendication en diffusant les arguments en faveur de celle-ci dans le public et, enfin, à augmenter le nombre de citoyens qui partagent l'opinion politique favorable à l’adoption politique et institutionnelle de la revendication. Toutes ces étapes permettent de créer une pression plus grande sur les institutions pour amorcer le changement démocratique souhaité (Patrick Hassenteufel, « Les processus de mise sur agenda : sélection et construction des problèmes publics », Informations sociales 2010/1 (n° 157), p. 50-58., p. 51).


b. Médiatisation

La deuxième dynamique est celle de la médiatisation. Les réseaux sociaux sont également des médias. Des médias de transport de l'information. De nos jours, sans couverture médiatique, il est peu probable qu'une question importante devienne un jour un problème public et soit résolue par les autorités (Dispensa, Jaclyn & Brulle, Robert. (2003). Media's Social Construction of Environmental Issues: Focus on Global Warming-A Comparative Study. International Journal of Sociology and Social Policy. 23. 74-105. P. 90, 10.1108/01443330310790327). Malgré le fait que les réseaux sociaux sont également des médias, un sujet peut être plus facilement diffusé, y compris sur les réseaux, s’il a fait l’objet d’une médiatisation. Néanmoins, les médias anciens sont détenus pour la plupart par des sociétés privées qui sont des institutions du capitalisme jouant parfois un rôle de gardiens du statu quo. De plus, le capitalisme profite de l'esclavage animal. Par conséquent il peut être bénéfique pour les mouvements sociaux souhaitant une rupture du système de ne pas les utiliser. Cdla peut même constituer ce que je nomme une surprise sociétale de faire des action radicales extraordinaires et les revendiquer non pas via les médias anciens mais les médias nouveaux. L'avantage étant que sur les médias actuels les acteurs sont sociaux ne sont pas de passifs fournisseurs de citations mais sont des rédacteurs en chef ayant une pleine liberté. Une revendication et les arguments la soutenant sont plus visibles pour le public s’ils ont été l’objet d’une information fournie au public autrement dit médiatisation. Étant donné que la circulation des arguments en faveur d'une revendication fait rapidement augmenter le nombre de citoyens soutenant celle-ci, elle est extrêmement importante dans le processus du changement social. Par conséquent, les agents moraux qui cherchent à éliminer une injustice doivent étudier attentivement les facteurs qui contribuent à accroître la couverture médiatique d'un problème, ce qui est généralement le facteur de surprise sociétale.


c. Politisation

Pour faciliter la politisation d'un sujet, il est bénéfique de connaître les opinions et biographie des individus au pouvoir et leur médiatiser le problème. La médiatisation destinée aux individus politiques doit préférablement inclure l'information sur l'existence d'une opportunité politique pour la codification légale de la solution (la force des partis politiques en place, l'identité des individus au pouvoir exécutif (leurs opinions, leur biographie, etc.)).



II. Comment les mouvements sociaux peuvent-ils influencer ces dynamiques pour atteindre l’aboutissement de leurs revendications plus rapidement?

Nous allons voir ci-dessous, ce que peuvent faire les acteurs sociaux pour chacune des dynamiques décrites plus haut pour faire en sorte que leurs revendications soient adoptés plus rapidement par les institutions.


a. Au stade de la Mobilisation collective

i. Exprimer une revendication

Comme indiqué plus haut, la dynamique de mobilisation collective est celle dans laquelle les acteurs sociaux formulent publiquement une revendication politique. Nous avons vu qu'un problème a très peu de chances d'être éliminé si personne ne réclame son élimination. Appliqué au problème de l'abattage d'animaux pour de simples habitudes alimentaires, cela signifie que pour voir un jour cette pratique éliminée, il faut d'abord qu'il y ait des personnes qui expriment la revendication politique que cette pratique doit être interdite.


ii. Choisir une revendication radicale et la lier à des arguments radicaux

Pour changer la norme culturelle autour d'un sujet, ce qui est plus efficace c'est d'émettre la revendication la plus radicale.

L'expression de la revendication fait circuler les arguments en faveur de celle-ci, cela génère un changement de la norme culturelle ce qui permet l'adoption d'une nouvelle norme légale.


Chateauraynaud explique que pour être efficaces, les arguments doivent être liés à des principes communément admis (Chateauraynaud F. (2011). Argumenter dans un champ de forces. éd. Petra, 2011). Pour que le plus grand nombre possible de citoyens deviennent favorables à l'opinion politique visant l'adoption de la revendication, un argument doit être recevable. L'affirmation « tuer des animaux pour de simples habitudes alimentaires doit être interdit », doit être liée à un argument comme le suivant : Le principe de non-violence doit être respecté. La revendication d’interdiction des expériences sur les animaux peut être liée à l'argument qui suit: Le principe de protection des intérêts des individus innocents et vulnérables doit être respecté.


iii. Choisir le mode de mobilisation collective

Pour être efficaces, les mouvements sociaux doivent choisir le mode de mobilisation collective qui a le plus de chances de faire accepter leurs revendications par les autorités. C'est donc une obligation morale pour eux de savoir ce que les chercheurs disent à ce sujet.
Dans une étude, après avoir analysé des centaines de campagnes de résistance violente et non violente, le chercheur Chenoweth (2011) a montré que les campagnes non violentes réussissent dans 53% des cas alors que les campagnes qui utilisent la violence ne réussissent que dans 26% des cas, pour les campagnes qui utilisent le terrorisme le taux de réussite n'est que de 9% (Chenoweth, E., & Stephan, M. J. (2011). Why Civil Resistance Works: The Strategic Logic of Nonviolent Conflict. International Security, Vol. 33, No. 1 (Summer 2008), pp. 7–44, p. 8).

D'un point de vue logique, on peut donc considérer que les campagnes réussissent plus facilement lorsqu’elles ont un mode de mobilisation pacifique et que les cas où le mode de mobilisation plus disruptif donnent du succès s’expliquent par le fait que les revendications du mouvement jouissaient d’un large soutien.

Les chercheurs qui travaillent sur cette question, au lieu de déterminer ce qui est objectivement de la violence ou du terrorisme, basent leur analyse uniquement sur ce qui est perçu comme « violent » ou « terroriste ».

Abrahms (2006) affirme que, quelles que soient les exigences politiques réelles des mouvements qui recourent au terrorisme, leur mode d'action génère la conviction que leurs objectifs sont maximalistes et dissuade les autorités de faire la moindre concession (Abrahms M. (2006). Why Terrorism Does Not Work. International Security, 31(2), 42–78, p. 57).

Relativement à la première Intifada palestinienne, Kaufman a constaté que si seulement 15% des manifestations pendant l'Intifada étaient violentes (la majorité d'entre elles consistaient uniquement à jeter des pierres sur les forces de défense israéliennes dans les territoires), 80% des Israéliens percevaient que les moyens utilisés par les protestations étaient « principalement violents » et 93% pensaient que l'Intifada était « dirigée à la fois contre les civils et contre l'armée »  (Kaufman E. (1991). Israeli perceptions of the Palestinians’ ‘limited violence’ in the Intifada. Terrorism and Political Violence, 3:4, 1-38, p. 9). Plus intéressant encore, alors que le premier objectif de l'Intifada était de « communiquer aux Israéliens la nécessité de mettre fin à l'occupation des territoires », Kaufman (1991) a constaté que 66% des Israéliens pensaient que l'Intifada était dirigée « contre l'existence de l'État d'Israël ».

Il ne s'agit là que d'un exemple illustrant les résultats obtenus par Chenoweth (2011) et montrant que plus un mouvement est perçu comme violent, plus il donne l'impression d'avoir des objectifs extrémistes qui ne devraient pas être adoptés par la société.

Dans une autre étude comparant les conséquences de différents types d'actions médiatisées sur la perception de deux groupes différents concernant la même cause et provenant du même mouvement montre que les actions du mouvement médiatisées qui sont perçues comme « extrêmes » ou « immorales » par le public génèrent moins de soutien de la part du public pour le mouvement (Feinberg, M., Willer, R., & Kovacheff, C. (2020). The activist’s dilemma: Extreme protest actions reduce popular support for social movements. Journal of Personality and Social Psychology, 119(5), 1086–1111). Dans cette étude, Feinberg (2020) tend à montrer que lorsqu'un mouvement a recours à des « actions de protestation extrêmes », cela crée une perception de l'immoralité des actions de protestation, ce qui entraîne une diminution de la connexion émotionnelle et de l'identification avec les acteurs du mouvement, ce qui, à son tour, entraîne un soutien moindre du mouvement. Il est intéressant de noter que l'un des cas testés sur les sujets était une manifestation en faveur des droits des animaux.

Environ 300 participants ont été recrutés pour tester ce cas. Ils ont été répartis en trois groupes différents. Chaque groupe a appris qu'il devait lire une transcription d'une émission d'information et répondre ensuite à des questions à ce sujet :

"Les participants ont lu l'histoire d'une organisation fictive de défense des droits des animaux appelée Free the Vulnerable (FTV).

L'extrémisme du comportement de protestation du mouvement a été manipulé à trois niveaux : Protestations modérées, protestations extrêmes ou protestations très extrêmes. Les manifestants des deux conditions de protestation extrême se sont livrés à des activités illégales (par exemple, s'introduire dans un laboratoire d'expérimentation animale) sur le modèle des activités de protestation des militants des mouvements sociaux de la vie réelle, les manifestants de la condition de protestation extrême se livrant à des comportements particulièrement perturbateurs et nuisibles (par exemple, droguer un agent de sécurité [ainsi que libérer les animaux gardés dans le laboratoire et détruire les biens]) par rapport aux manifestants de la condition « protestation extrême » (par exemple, se faufiler devant l'agent de sécurité [et libérer les animaux du laboratoire sans détruire de biens]). En revanche, dans la condition de protestation modérée, les activistes ont défilé pacifiquement pour exprimer leurs revendications. L'inclusion de deux conditions de protestations extrêmes nous a permis d'explorer des possibilités concurrentes concernant les effets des protestations extrêmes sur le soutien des observateurs à un mouvement. D'une part, les observateurs peuvent baser leur niveau de soutien directement sur le degré d'extrémisme des actions de protestation et, par conséquent, l'extrémisme de la protestation aurait un impact linéaire sur le soutien des observateurs. D'autre part, il peut y avoir un seuil d'extrémisme au-delà duquel les impressions des spectateurs ne deviennent pas plus négatives" (Feinberg, M., Willer, R., & Kovacheff, C. (2020). The activist’s dilemma: Extreme protest actions reduce popular support for social movements. Journal of Personality and Social Psychology, 119(5), 1086–1111.
 p. 1101).

Après avoir lu ce qu'ils pensaient être une transcription d'une émission d'information, les participants ont indiqué dans quelle mesure ils pensaient que la manifestation était extrême, dans quelle mesure ils s'identifiaient socialement aux membres du mouvement, dans quelle mesure ils soutenaient les manifestants, dans quelle mesure ils étaient prêts à rejoindre le mouvement et dans quelle mesure ils soutenaient la cause générale du mouvement.
Les résultats ont tout d'abord montré que les participants aux groupes « protestations extrêmes » et « protestations très extrêmes » considéraient le comportement des manifestants comme plus extrême que les participants au groupe « protestations modérées ». En outre, les participants à la condition de protestation très extrême considéraient le comportement des manifestants comme plus extrême que les participants à la condition de protestation extrême. Les participants à la condition de protestation modérée soutenaient davantage les manifestants, étaient plus enclins à rejoindre le mouvement et soutenaient davantage la cause globale du mouvement. Cependant, malgré le fait que les participants à la condition de protestation très extrême considéraient le comportement des manifestants comme plus extrême que les participants à la condition de protestation extrême, les chercheurs ont trouvé des différences non significatives entre les autres réponses des conditions de protestation extrême et très extrême. Conformément à l'hypothèse du seuil, les chercheurs ont conclu :
 Ainsi, bien que les manifestants de la condition « Manifestation extrême » aient été considérés comme nettement moins extrêmes que ceux de la condition « Manifestation très extrême », ils ont été jugés de la même manière. Ce résultat est conforme aux recherches qui soutiennent que la perception du caractère inapproprié de nombreux actes ne se produit pas de manière linéaire, mais comme une fonction par paliers, où les comportements qui franchissent un seuil donné sont catégorisés de manière tout aussi négative (Alexander, 2008).” (Feinberg, 2020, p. 1101).

Puisque les conditions de l'action de protection extrême ne concernaient que l'entrée illégale dans le bâtiment et le sauvetage illégal des animaux sans vandalisme ni dommages à la propriété et que les réponses des participants dans cette condition n'étaient pas bien meilleures que dans la condition de l'action de protection très extrême où la drogue d'un agent de sécurité et des dommages à la propriété étaient impliqués, cela signifie que le simple fait que les activistes animalistes fassent quelque chose d'illégal (sans causer de dommages directs à l'intégrité physique ou à la propriété de quelqu'un) peut suffire, en tout cas pour un public états-unien (l’étude de Feinberg ayant été faite aux États-unis), à produire les mêmes résultats négatifs que si les activistes droguaient un être humain et endommageaient une propriété privée. D'après les résultats de cette étude, on peut penser que l'opposition du Front de Libération des Animaux à toute forme de violation de l'intégrité corporelle (mais son acceptation des dommages à la propriété, qui est déjà une condition plus négative que la Condition d'Action de Protestation Extrême de l'étude) peut ne pas signifier une réduction des conséquences négatives de leurs actions aux yeux du public. En outre, l’application de principes éthiques, les défenseurs des animaux s'engageant dans des actions directes destructrices ont souvent été qualifiés de terroristes (Posłuszna E. (2020), A Prognostic View on the Ideological Determinants of Violence in the Radical Ecological Movement. Sustainability. 2020; 12(16):6536, p. 3).

L'un des objectifs de la mobilisation collective étant de persuader le plus grand nombre possible de citoyens d'adopter des opinions politiques favorables à leurs revendications, les mouvements sociaux doivent choisir stratégiquement leur mode de mobilisation collective.

Comme il a été dit précédemment, dans l’étude de Chenoweth, les campagnes perçues comme violentes par le public ont deux fois moins de chances de réussir que celles perçues comme non violentes, tandis que celles perçues comme faisant appel au terrorisme ont six fois moins de chances de réussir.

Toutes choses égales par ailleurs, il est donc préférable d’opter pour un mode de mobilisation pacifique. L’exception possible étant l’impossibilité pour un mouvement d’obtenir une médiatisation de ses revendications et arguments lorsque le mode de mobilisation pacifique est utilisé. Dans ce cas, des actions plus disruptives sont stratégiquement justifiées pour obtenir une médiatisation et faire connaître les revendications et arguments en faveur de celles-ci aux citoyens. Si un mode de mobilisation perçu comme violent est choisi il conviendra d’opter pour une revendication le plus largement soutenue par le public afin d’augmenter les chances de succès de la mobilisation. De tels sujets, pour le mouvement animaliste, pourraient comprendre le problème des animaux de compagnie abandonnés, celui consistant tuer des animaux pour de simples habitudes alimentaires ou celui des animaux utilisés dans des expériences. Environ 35% des citoyens sont souvent opposés aux abattoirs et aux expérimentations animales. Une action disruptive réalisée à cause de l’impossibilité d’obtenir une médiatisation d’une autre manière a avantage à mettre en avant des principes communément admis et arguments qui pourraient être utiles à d’autres revendications du mouvement permettant ainsi de changer l’opinion publique sur ces revendications également et de créer une nouvelle norme culturelle favorable au mouvement.

La perception du caractère extrême ou non des actions est produite à cause du cadrage réalisé par les médias, il existe donc une marge de manoeuvre pour les activistes pour influer sur celui-ci.


b. Médiatisation

Pour qu'un problème s'inscrive à l'ordre du jour politique il doit, en principe, bénéficier d'une couverture médiatique. 

Les réseaux sociaux sont également des médias. Des médias de transport de l'information.

Lorsqu'un problème est suffisamment médiatisé, les arguments en faveur de la revendication deviennent connus de tous. Et tout le monde sait qu'ils sont connus de tous. Une nouvelle norme culturelle a donc été créée. Au vu de l'existence de cette nouvelle norme culturelle, la codification de celle-ci en une norme légale devient nécessaire et évidente. Pour tout le monde. Et tout le monde le sait.

Cela fait longtemps que les chercheurs travaillant sur les médias disent des choses similaires à propos des médias :

Ils présentent constamment des objets suggérant ce que les individus de la masse devraient penser, savoir, ressentir (Lang K. & Lang G. E. (1966), The Mass Media and Voting. Public Opinion and Communication, Bernard Berelson and Morris Janowitz, eds., Reader, 2d ed., New York, Free Press, 1966, p. 468).

Mccombs a également suggéré que les médias de masse avaient une fonction de définition de l'ordre du jour (McCombs M. E. & Shaw D. L. (1972), The Agenda-Setting Function of Mass Media. The Public Opinion Quarterly, Vol. 36, No. 2., pp. 176-187, p. 184). Cette fonction se manifeste notamment par la sélection des questions considérées comme dignes d'intérêt par les médias et par le cadrage de ces questions.

Les médias actuels sont les réseaux sociaux.


i. Choisir les angles plaisants aux médias

Les recherches menées par les journalistes sur les valeurs des médias, l'actualité et le l'accès aux médias sont utiles pour comprendre certains des facteurs utilisés par ceux-ci pour décider si un sujet mérite d'être traité.

Les sociologues ont dressé des listes de critères indiquant que pour bénéficier d'une couverture médiatique, un sujet doit satisfaire à au moins un ou plusieurs d'entre eux.

L'une des listes de Harcup & O'Neill (2017) comprend ce qui suit :

"Exclusivité : Histoires générées par, ou disponibles en premier pour, l'organisme de presse à la suite d'interviews, de lettres, d'enquêtes, de sondages, et ainsi de suite.

Mauvaises nouvelles : histoires ayant une connotation particulièrement négative, comme la mort, les blessures, la défaite et la perte (d'un emploi, par exemple).

Conflit : Histoires concernant les conflits tels que les controverses, les disputes, les scissions, les grèves, les combats, les insurrections et les guerres.

Surprise : Histoires qui présentent un élément de surprise, de contraste et/ou d'insolite.

Audiovisuel : Histoires qui comportent des photographies, des vidéos, des fichiers audio et/ou qui peuvent être illustrées par des infographies.

Partageabilité : Histoires susceptibles de générer des partages et des commentaires via Facebook, Twitter et d'autres formes de médias sociaux.

Divertissement : Les histoires douces concernant le sexe, le showbusiness, le sport, les intérêts humains plus légers, les animaux, ou offrant des possibilités de traitement humoristique, des titres ou des listes pleins d'esprit.

Drame : Histoires concernant un drame en cours, telles que des évasions, des accidents, des recherches, des sièges, des sauvetages, des batailles ou des affaires judiciaires.

Suivi : reportages sur des sujets qui ont déjà fait l'actualité.

L'élite du pouvoir : histoires concernant des personnes, des organisations, des institutions ou des entreprises puissantes.

Pertinence : Reportages sur des groupes ou des nations perçus comme influents par le public, ou familiers à ce dernier sur le plan culturel ou historique.

L'ampleur : Histoires perçues comme suffisamment importantes en raison du grand nombre de personnes impliquées ou de l'impact potentiel, ou impliquant un degré de comportement ou d'occurrence extrême.

Célébrité : Histoires concernant des personnes déjà célèbres.

Bonnes nouvelles : histoires à connotation particulièrement positive telles que les guérisons, les percées, les traitements, les victoires et les célébrations.

Agenda de l'organisme de presse : Reportages qui s'inscrivent dans l'agenda de l'organe de presse, qu'il soit idéologique, commercial ou qu'il fasse partie d'une campagne spécifique". (Harcup T. & O’Neill D. (2017). What is News?, Journalism Studies, 18:12, 1470-1488, p. 1482).

Ainsi, si les acteurs sociaux souhaitent accroître la couverture médiatique d'une question, ils doivent la présenter aux médias sous un ou plusieurs de ces angles.


ii. Créer des contacts avec des journalistes

En ce qui concerne le « gatekeeping » relatif à l’accès aux médias, Clayman (1992) déclare ce qui suit :

Le « gatekeeping », en tant que concept des sciences sociales, peut être
Retracé dans les écrits de Lewin (1947) sur la planification sociale. Il a observé que la manière la plus efficace de provoquer un changement social généralisé est de se concentrer sur les personnes occupant des postes d’influence clés, qui fonctionnent comme des “gardiens” dans le flux de biens et d’idées à travers la société” (Clayman S. & Reisner A. (1998). Gatekeeping in Action: Editorial Conferences and Assessments of Newsworthiness. American Sociological Review, Vol. 63, No. 2, pp. 178-199, p. 179).

Par conséquent, un autre excellent moyen d'augmenter la couverture médiatique est de créer des contacts avec certains journalistes qui détiennent le pouvoir de décider si un sujet deviendra une nouvelle. Les représentants d'une ONG peuvent demander à rencontrer un journaliste autour d'une tasse de café pour parler de leur travail et des événements futurs susceptibles d'intéresser le journal « afin de voir s'il serait possible à l'avenir de fournir à leur journal des informations en exclusivité concernant les activités prévues ». Au cours de la réunion, il est possible de demander aux journalistes des conseils sur les critères qui permettent à un sujet/événement lié à leur cause d'être considéré comme digne d'intérêt par leur média. Souvent, il suffit d'appeler un ami qui connait comment fonctionne le média.

Le simple fait de rencontrer ce journaliste créera un contact personnel qui peut aider à obtenir une plus grande couverture médiatique à l'avenir.

Le fait d'appeler un ami spécialiste d'un média permettra de devenir soi-même spécialiste d'un média.

Les acteurs sociaux sont les rédacteurs de leurs propres articles dans les médias actuels.


iii. Passer de la stigmatisation à la célébration

Il y a une décennie, une étude avait montré que les véganes étaient stigmatisés dans les médias au Royaume-Uuni (Cole, M., & Morgan, K. (2011). Vegaphobia: Derogatory discourses of veganism and the reproduction of speciesism in UK national newspapers. The British Journal of Sociology, 62(1), 134–153). Des résultats similaires avaient été obtenu relativement l’Australie (Masterman-Smith, H., Ragusa, A.T. and Crampton, A., 2014, November. Reproducing speciesism: A content analysis of Australian media representations of veganism. In Proceedings of the Australian Sociological Association Conference).

Cependant, ces dernières années, l'image des véganes dans la presse britannique est passée d'un mode de vie stigmatisé à un mode de vie normalisé et à un régime alimentaire sain, en particulier grâce à la médiatisation de célébrités véganes (Lundahl O. (2020). Dynamics of positive deviance in destigmatisation: celebrities and the media in the rise of veganism. Consumption Markets & Culture, 23:3, 241-271).

Cette bonne nouvelle peut être reproduite pour améliorer l'image des « activistes animalistes ». Le mouvement de défense des droits des animaux pourrait inviter des activistes célébrités défendant les animaux à des manifestations, par exemple, à faire des discours ou vidéos de promotion ou être les premiers signataires de pétitions qui peuvent être médiatisées. Une telle association avec des célébrités dans les médias a le potentiel de transformer l’expression « militant pour les animaux » en quelque chose de très positif.

Ceux que les médias appellent souvent les véganes sont en réalité les activistes animalistes.

Il convient d'abandonner purement et simplement l'usage du terme dépolitisant de végane pour les activistes animalistes.


iv. Éviter les cadrages négatifs et créer des cadrages positifs

En ce qui concerne le cadrage effectué par les médias, Entman (1993, p. 52) affirme ce qui suit :

Cadrer, c'est sélectionner certains aspects d'une réalité perçue et les rendre plus saillants dans un texte de communication, de manière à promouvoir une définition particulière du problème, une interprétation causale, une évaluation morale et/ou une recommandation de traitement (Entman, R. (1993). Framing: toward clarification of a fractured paradigm. Journal of Communication, 43(4), 51-58, p. 52).

Si une manifestation est cadrée par les médias anciens comme une confrontation entre la police et les manifestants, l'article peut ne parler que de cet aspect conflictuel et « la critique sociétale développée par les manifestants peut ne pas faire partie de l'article - non pas parce qu'il n'y avait pas de place pour elle, mais parce qu'elle n'a pas été définie comme pertinente » (Reese S. D., Gandy O. H. Jr. & Grant A. E. (2001). Framing Public Life: Perspectives on Media and Our Understanding of the Social World, p. 8). C'est pourquoi les militants vont de préférence éviter autant que possible l'image négative de « militants radicaux » ou d’ « extrémistes » et apparaître en tant que “citoyens révoltés par une injustice”.

Si les mouvements sociaux veulent être efficaces, ils doivent éviter la possibilité pour les médias et le public d’insérer leurs actions dans un cadre qui a des conséquences négatives pour leur cause. Ou opérer un retournement de stigmate relativement au cadre en question. 

Selon les sociologues des mouvements sociaux, le "retournement de stigmate" est le processus par lequel une notion sociologique utilisée pour opprimer est utilisée par des acteurs pour exprimer quelque chose de positif. Par ex. "nigga" aux États-Unis à été employé par les blancs comme insulte pour opprimer les noirs. Actuellement, tous les rappeurs noirs utilisent le terme de manière positive. C'est un retournement de stigmate. Pareil pour le terme "gouine" qui a été utilisé comme insulte pour dénigrer les lesbiennes jusqu'à ce que des lesbiennes se soient approprié le terme pour l'utiliser de manière positive comme le groupe lesbien des "gouines rouges". 

Ce que j'appelle "le retournement de paillettes"  décrit le processus opposé: comment un terme utilisé de manière positive devient négatif. 

Le concept sociologique de vieux peut devenir synonyme d'individu expérimenté et celui d'humain (les espèces n'existant pas dans la science post-darwinienne) peut devenir synonyme d'individu détruisant l'environnement de tous les êtres sentients. Le concept d'animal peut devenir synonyme d'individu normal respectant la Terre. 


Pour éviter l’image de « l’extrémisme des droits des animaux », cela peut impliquer la nécessité de souligner dans un communiqué de presse que l’action organisée sera / était totalement pacifique et organisée par une ONG sérieuse dont certaines oeuvres intéressantes peuvent être présentées à la fin du communiqué de presse. Veiller à ce que les aspects visuels d’un événement (élément important pour la couverture médiatique de), tels que les banderoles et les panneaux, contribuent à éviter un cadrage négatif peut également s’avérer utile.

Les médias utilisent également un autre cadre pour les personnes qui s’opposent à la violence infligée aux animaux. Lorsque les médias parlent de du véganisme ou des véganes, ils le présentent comme une question de « style de vie ». En raison de ce cadrage, la question de l’élimination de la mise à mort des animaux pour de simples habitudes alimentaires n’est donc pas considérée comme une question de justice qui doit être traitée par la société et les autorités, mais comme une simple question de choix personnel. Cela rend l’aspect politique du problème totalement invisible et garantit que toute apparition médiatique des véganes est rendue inoffensive pour l’élimination du problème de l’agriculture animale. Étant donné que même les militants sont influencés par les médias, il n’était pas toujours facile, même pour eux de sortir de ces cadre négatifs des médias qui dépeignaient les défenseurs des animaux soit comme des extrémistes militants, soit comme des véganes inoffensifs qui ne font que partager des recettes. Pour éviter le cadre « extrémisme des droits des animaux » qui a des conséquences négatives ainsi que le cadre « style de vie » qui a également de très mauvaises conséquences puisqu’il transforme une importante question de justice en une question bénigne de choix personnel, les activistes animalistes doivent non seulement s’assurer qu’ils sont perçus comme pacifiques lors des actions légales mais aussi rendre leur revendication politique visible, par exemple lorsqu’ils parlent au journaliste ou avec des aspects visuels comme par exemple des inscriptions sur les vêtements telles que « notre société doit respecter la vie des animaux ».

Pour que les médias ne puissent pas ignorer les revendications politiques d’un événement, il est possible de faire figurer ces revendications ou une partie d’entre elles directement dans le nom de l’événement, par exemple « festival de la compassion et de la fin du spécisme » ou « marche pour la fermeture des abattoirs ». De même, souligner dans un communiqué de presse qu’une manifestation n’est pas composée de véganes mais de toutes les personnes qui ont pour revendication politique que notre société devrait un jour respecter la vie de tous les animaux, et expliquer dans que l’événement ne concerne pas les pratiques de consommation des consommateurs mais les opinions politiques des citoyens peut contribuer à rendre la revendication politique du mouvement plus visible dans les médias. En effet, il est plus facile pour les gens de partager l’opinion politique de quelqu’un à qui ils peuvent s’identifier, et il est plus facile pour les non-véganes de partager l’opinion politique de la fin du massacre des animaux pour de simples habitudes alimentaires s’ils peuvent s’identifier à d’autres non-véganes qui ont cette opinion politique.
Les médias présentent souvent l’agriculture animale comme une question économique et sociale, plutôt que comme une question éthique et environnementale majeure.

Les défenseurs des animaux doivent agir pour changer cela en exprimant clairement qu’il s’agit d’une question éthique majeure et en soulignant dans leurs communications que nous devons prendre en compte le fait que la quasi-unanimité des philosophes moraux, les spécialistes de l’éthique de notre société qui ont travaillé sur notre relation aux autres animaux, considèrent que la pratique consistant à tuer des animaux pour de simples habitudes alimentaires est immorale et devrait être éliminée (pour souligner ce fait, les défenseurs des animaux peuvent utiliser dans leurs communications la « Déclaration de Montréal sur l'exploitation des animaux » signée par environ 550 universitaires).

Les défenseurs des animaux doivent également exprimer que l’agriculture animale est un problème environnemental majeur en informant que selon des études scientifiques, comme celle d’Eisen & Brown (2022), l’arrêt progressif de l’agriculture animale, sur une période de 15 ans à partir d’aujourd’hui, conduirait à la neutralisation du réchauffement climatique sur la période 2030-2060, ce qui signifie en d’autres termes, qu’il compenserait totalement l’effet de réchauffement de toutes les autres émissions humaines de gaz à effet de serre sur cette période (Eisen M. B. , Brown P. O. (2022). Rapid global phaseout of animal agriculture has the potential to stabilise greenhouse gas levels for 30 years and offset 68 percent of CO2 emissions this century. PLOS Clim 1(2).

Les acteurs sociaux vont facilement réussir à modifier le cadre entourant l’agriculture animale, étant donné qu’il y a aujourd’hui plus d’articles de journaux qui sont critiques à l’égard de la consommation de viande (Mroz G. & Painter J. (2022). What do Consumers Read About Meat? An Analysis of Media Representations of the Meat-environment Relationship Found in Popular Online News Sites in the UK., Environmental Communication).


v. Prise en compte de la profondeur des cadres

Les cadres ne façonnent pas seulement la présentation d'une histoire individuelle, mais peuvent avoir des conséquences durables sur notre façon de percevoir certaines questions :

Les cadres plus « culturels » ne s'arrêtent pas à l'organisation d'une histoire, mais nous invitent à rassembler une compréhension culturelle et à continuer à le faire au-delà de l'information immédiate. Ce sont les cadres « stratégiques » qui parlent d'une manière plus large de rendre compte de la réalité sociale (Reese (2001), p. 12).

Certains sociologues distinguent les cadres en fonction de leur « profondeur » : les cadres profonds sont plus généraux et souvent plus anciens et les cadres peu profonds sont spécifiques et souvent plus récents (Wolfsfeld, G., (1997). Media and political conflict: news from the middle East. New York: Cambridge University Press). Le cadre « guerre froide » est par exemple plus profond que « attaque non provoquée » (Reese, 2001, p. 12) et le cadre « extrémisme des droits des animaux » est plus profond que « sabotage d'un abattoir ».
Certains éléments d'un problème peuvent rappeler au public un cadre ancien et profond et produire dans son esprit l'insertion du problème dans ce cadre ancien. Nous pouvons faire l'hypothèse que le seuil dans l'étude de Feinberg (2020) vu plus haut concernant les actions de protestation extrêmes, après le franchissement duquel les conséquences de certains modes de mobilisation collective sont également négatives, est lié au cadre « extrémisme des droits des animaux » qui a été soutenu par les médias et qui est maintenant connu et utilisé par de nombreux citoyens pour
catégoriser les actions de droits des animaux dès qu'elles impliquent l'illégalité. Mais les choses changent rapidement. La cadre “the animal turn” / “le tournant animal” donnant l’information que nous sommes en train de vivre une révolution culturelle et bientôt légale dans notre rapport aux animaux est profond et de plus en plus utilisé.


c. Politisation

Le choix d'arguments stratégiques pour une revendication afin que l'opinion publique soit plus susceptible de la soutenir et l'attention portée à la formulation du problème afin que le sujet soit médiatisé favorablement dans les journaux ne sont pas des fins en soi mais aident le problème à être inscrit à l'agenda gouvernemental (qui est l'ordre du jour qui intègre les problèmes auxquels les médias accordent leur attention).

Ce qui aide le problème à être inscrit à l'agenda gouvernemental, c'est aussi la disponibilité concrète de solutions pour éliminer le problème, d'où la nécessité qu'une revendication fasse directement appel à une solution disponible pour le gouvernement.




Pour être efficace, une demande doit déjà exprimer le type de solutions disponibles à mettre en place. Et idéalement se concentrer sur la solution qui est la plus facile à mettre en place par les politiciens compte tenu de la pression publique et des forces politiques. Par exemple, si les défenseurs des animaux veulent que la fin du massacre des animaux soit concrétisée dans la loi, ils doivent réclamer non pas un droit légal à la vie pour les animaux
(très difficile à obtenir car nécessitant le changement de textes se trouvant en haut dans la hiérarchie des lois comme la Constitution), mais la création d'une infraction pénale qui rendrait passible d'une amende le fait de tuer des animaux pour de simples raisons alimentaires (rajout d’une simple infraction pénale nouvelle dans un texte se situant en bas de la hiérarchie des lois). Étant donné qu'en fin de compte, tous les problèmes sont éliminés par la loi, les militants doivent demander l'aide d'avocats qui sont sensibles à leur cause pour savoir comment formuler leur demande de manière à ce qu'elle se concentre sur le changement législatif le plus précis et le plus facile à obtenir pour voir leur problème éliminé. Ils peuvent également aisément demander aux parlementaires sensibles à leur cause quel est le meilleur moment pour soulever leur problème au parlement par le biais d'une pétition ou d'une autre initiative politique. S'ils veulent demander aux parlementaires de défendre leur cause au parlement, ils devraient vérifier quelles sont les forces politiques actuelles après une élection et demander aux politiciens qui sont les plus susceptibles de recueillir le soutien de la majorité. Après une nouvelle élection, ils peuvent facilement faire entendre leur cause au parlement, afin que les nouveaux élus voient que leur cause est discutée au parlement.


Conclusion

Certains diront que la stratégie proposée par est réformiste, ce à quoi Gramsci répondrait qu'aujourd'hui, il est impossible de transformer totalement la société par la force et que la lutte culturelle est une partie essentielle de la révolution. Je répondrais que ce combat culturel peut aussi consister à revendiquer l'adoption de lois et de facilités institutionnelles qui créent une société anarcho-communiste basée sur l'amour. Les informations contenues dans cet article sont très importantes mais les différentes opérations en jeu dans le processus de changement sociétal ne doivent pas être interprétées comme une "procédure stricte" à suivre nécessairement pour parvenir au changement. La seule règle est l'amour. Ce sera donc facile. Amusez-vous bien en jouant. C'est plus sexy. Et sachez que vos enfants vivront dans un monde magnifique. Faites ce que vous aimez. Pour ceux qui aiment les animaux, certains ou tous, je vous recommande de prendre une ou deux années sabbatiques après le gymnase/lycée pour faire de l'activisme pour eux. Apprenez sur les doshas pour savoir ce qu'il faut faire pour être en bonne santé émotionnelle et dites aux autres de faire de même.

Anoushavan Sarukhanyan

Monday, March 18, 2013

Fin du spécisme

A propos du nécessaire changement de paradigme dans le mouvement pour les droits des animaux


I. Introduction

a. Les animaux non-humains sont esclaves

Depuis Darwin nous savons clairement que les humains ne sont pas les seuls animaux à avoir des intérêts et ressentir des émotions. Néanmoins, les individus non humains sont légalement une propriété dans nos sociétés spécistes. Considérés comme une simple ressource, ils sont tués pour leur lait, leurs œufs, leur peau, leur chair, ou sont même  utilisés comme du matériel biologique pour des expériences violant leur intégrité, etc.

b. 99.8 % de l'esclavage animal = l’alimentation 

Le nombre d’animaux terrestres tués dans les abattoirs pour l’alimentation s’élève à plus de 60 milliards individus chaque année. Les animaux aquatiques sont comptabilisés en tonnes (environ 150'000'000 tonnes chaque année) et le nombre des victimes aquatiques s’élève à au moins 1000 milliards individus, en ne comptant que les poissons. Donc en tout cela fait 1060 milliards d’êtres sensibles (vertébrés uniquement) tués chaque année pour l’alimentation.

En comparaison, l’industrie de la fourrure tue envoron 60 millions d’individus ( = 0.0057% du nombre des victimes pour l’alimentation) et l’expérimentation animale engendre chaque année la mort de 300 millions d’êtres sensibles ( = 0.028% du nombre des victimes pour l’alimentation) mais aussi de terribles souffrances.


II. Quelles stratégies utiliser pour abolir l’esclavage animal ?

Premièrement, nous analyserons la stratégie utilisée par les mouvements sociaux pour apporter le changement et ensuite celle qui prédomine dans le mouvement pour les droits des animaux.


a. Stratégie utilisée par les mouvements sociaux ( stratégie du débat public )

aa. Machines à faire des revendications

Les mouvements sociaux sont des machines à faire des revendications.Ils doivent exprimer une revendication : « Il faut abolir l'apartheid! »  « Les applications doivent être gratuites et opensource! » « Nous demandons le droit de vote pour les femmes! »« Le logement doit être gratuit! »
Ensuite, ils doivent rendre cette revendication plus visible dans la société (manifestations, actions publiques, pétitions, lettres, débats télévisés,  etc.).
Le fait d’exprimer une revendication crée un débat public dans la société, ensuite la question est mise à l’ordre du jour et devient un problème public.
Il est important de remarquer que c’est toujours une minorité qui commence à émettre une revendication. Et durant le débat public (qui peut durer pendant des décennies) plus une revendication est exprimée et discutée, plus la minorité grandit et éventuellement devient une majorité.

Dès que l'unanimité concernant la légitimité d'une situation disparaît grâce aux personnes qui commencent à faire des revendications pour le changement, il devient plus facile pour les autres de remettre en question cette pratique, voir à ce propos l’étude psychologique du professeur Asch.


bb. L’étude psychologique du professeur Asch




« Laquelle des barres se trouvant à droite est de la même longueur que celle se trouvant sur la gauche ? » Cela dépend…

Dans cette expérience, on montrait à dix personnes une barre tracée sur un papier et on leur demandait de dire laquelle de celles se trouvant à côté était de la même longueur. Mais en réalité, un seul des participants était le réel sujet de l'étude, car les 9 autres étaient des complices du psychologue et avaient reçu l’instruction de donner une réponse incorrecte. Lorsque les 9 complices donnaient une réponse fausse, le sujet avait tendance à se conformer à la majorité. Et il pensait même que cette majorité avait raison. Mais dès qu’il y avait au moins une personne qui cassait l’unanimité en donnant la réponse correcte, il devenait plus facile pour le sujet de remettre en question ce que disait la majorité et il était plus enclin à répondre correctement. La présence d'une seule personne cassant l'unanimité permettait de réduire la conformité jusqu'à 80% (voir: Asch, S. E. (1956). Studies of independence and conformity: I. A minority of one against a unanimous majority. Psychological Monographs: General and Applied, 70(9), 1–70. https://doi.org/10.1037/h0093718 ).

Après l'expérience, les sujets qui se sont conformés à la majorité ont dit généralement qu'ils s'étaient ralliés à la majorité de peur d'être ridiculisés ou d'être perçus comme «bizarres». Et certains d'entre eux pensaient même que la majorité avait raison.

Si la pression sociale engendrée par l’unanimité est aussi forte pour des questions dont la solution peut simplement être trouvée en utilisant nos yeux, on peut facilement penser qu’elle est encore plus grande pour des questions de justice dont la solution nécessite un minimum réflexion éthique. 

Dès qu’une revendication demandant l’abolition d’une pratique est entendue dans la société, le consensus concernant la légitimité de cette dernière se fissure et elle commence à être perçue comme problématique. Ainsi il devient plus facile pour les autres personnes de ne pas se conformer à la majorité et d'être pour son abolition. 

Par conséquent, en exprimant et rendant visibles des revendications qui créent un débat public, les mouvements sociaux profitent pleinement de l’effet bénéfique engendré par le fait de briser l’unanimité concernant une situation.


b. Stratégie parfois utilisée pas certains activistes pour les droits des animaux (stratégie de la conversion)

Nous avons vu que l’exploitation animale pour l’alimentation représente environ 99.8% de l’exploitation animale. Pourtant, concernant cette thématique, les activistes pour les droits des animaux dans le monde ont utilisé jusqu'à maintenant la stratégie de la conversion.

La stratégie de la conversion consiste à  convertir les gens au véganisme sans créer un débat public et sans faire de revendications (comme par exemple : « les abattoirs doivent fermer ! »)

La croyance se cachant derrière la stratégie de la conversion est la suivante : «  Nous sommes seulement une minorité, donc nous devons d’abord convertir des gens au véganisme et seulement après cela nous pourrons créer un débat sociétal demandant l'abolition de l'esclavage animal ».
  1. Pourtant tous les mouvements sociaux étaient juste une petite minorité quand ils ont commencé à exprimer des revendications, même le mouvement pour l’abolition de l’esclavage humain.
  2. Ensuite la conversion au véganisme est beaucoup plus difficile s’il n’y a pas de débat sociétal, car une pratique largement acceptée est très difficilement remise en question (Etude Asch).
Les mouvements sociaux n’ont jamais utilisé ce genre de tactique seule. En effet, lorsque le boycott est utilisé, c’est toujours avec l’expression de revendications qui l’accompagnent. Exemples : Gandhi appelait au boycott des textiles anglais et revendiquait que l’Inde devait être indépendante, Martin Luther King a appelé au boycott des bus « Montgomery » et a exprimé la revendication que la discrimination raciale devait être abolie. 

De plus,  est problématique également le fait que le véganisme n’est même pas perçu comme un boycott politique, mais comme un simple choix personnel (voir plus bas).

La stratégie de la conversion n’est pas utilisée dans les mouvements sociaux, mais dans les mouvements religieux. 

Mais l’efficacité de celle-ci est très limitée : après deux mille ans d’utilisation de cette stratégie par le christianisme, la totalité des humains n’est toujours pas de religion chrétienne. Alors combien de milliers d’années devra-t-on encore attendre avec cette stratégie pour en finir avec l’exploitation animale ?


III. Conséquences de la stratégie de conversion

a. Inefficience
 
aa. Regard historique
 
Au cours de l'histoire, aucun changement pour plus de justice n'a été obtenu avec la stratégie de conversion. A l'inverse, la stratégie des mouvements sociaux a porté ses fruits à de nombreuses reprises (le mouvement pour l'abolition de l'esclavage, le mouvement des droits civiques, le mouvement de libération des femmes, les mouvements LGBT, etc.). Ainsi, il apparaît très étrange que le mouvement des droits des animaux utilise une stratégie qui n'a jamais apporté aucune transformation sociale pour plus de justice, au lieu d'utiliser celle qui a déjà maintes fois été couronnée de succès.


bb. Sensibilité à la proportion

Des recherches montrent que les gens privilégient les types d'action qui assurent une solution générale plutôt que partielle. Par exemple, dans une étude publiée en 2006, le professeur Bartels a constaté qu'une intervention qui sur 115 vies en danger en sauverait 102, est jugée plus importante qu'une intervention qui sur 700 en sauverait 105, alors que le nombre de vies sauvées est plus élevé dans le second cas! Cet effet psychologique de sensibilité à la proportion est appelé «proportion dominance» en anglais, et Bartels a montré que son impact était encore plus élevé dans le contexte de sauver des ressources naturelles ou des vies animales. Dans le cas de pollutions causées par deux usines, les participants à l'étude devaient choisir entre deux interventions mutuellement exclusives. L'opération sur la première entreprise prévenant 245 décès de poissons sur 350 au total a été jugée beaucoup plus importante que celle prévenant la mort de 251 poissons sur 980 décès (voir: Bartels, Daniel M., Proportion Dominance: The Generality and Variability of Favoring Relative Savings Over Absolute Savings (2006). Organizational Behavior and Human Decision Processes, Vol. 100, pp. 76-95, 2006).

Imaginons que le fait d'être végane sauve la vie de 1000 animaux chaque année. Comme le nombre total d'animaux tués chaque année est de 1'060 milliards, sauver 1000 animaux est considéré comme tout à fait insignifiant par notre esprit humain à cause de cette sensibilité à la proportion. C'est probablement une raison pour laquelle beaucoup de gens ne veulent pas changer leur régime alimentaire : ils ressentent fortement que leur action individuelle n'éliminera l'esclavage animal.

Au contraire, si le fait de refuser de consommer des produits d'origine animale est présenté comme un boycott lié à un mpuvement mondial dont le but est l'élimination de l'esclavage animal, nous pouvons être certains que les gens deviendront plus facilement activistes.


cc. Détournement de temps et d'énergie

Le mouvement des droits des animaux ne dispose pas d'un nombre astronomique de militants et nos ressources sont limitées. Néanmoins, nous utilisons notre temps et notre énergie pour convertir un par un 7 milliards de non-véganes, sans même savoir si cette stratégie réussira un jour.
Alors qu'à la place, nous pouvons œuvrer, par des actions publiques, à ouvrir le débat dans la société tout entière sur la légitimité de tuer des animaux pour des habitudes alimentaires, ce qui fera réfléchir chaque citoyen à ce sujet.

Notre but étant de faire changer la situation pour les animaux, nous devrions consacrer notre temps à la stratégie la plus efficace, qui permet d'arriver à l'abolition de l'esclavage animal le plus rapidement possible. 

Ainsi, si nous voulons que nos idées soient entendues dans la société, afin que de plus en plus de gens boycottent les produits d'origine animale et qu'un jour l'esclavage animal soit aboli, nous devons susciter un débat public: un tel débat est alimenté par des revendications.

b. Question de choix personnel

La stratégie de la conversion crée l’impression chez le public qu’il s’agit d’une question de choix personnel et non d’une question de justice : « De la même manière que certains individus sont musulmans, d’autres sont véganes, chaque personne a le droit de faire ce qu’elle veut. »

Cependant, la décision de tuer et manger un autre individu ne relève pas d'une question de choix personnel mais d'une question de justice. Le public comprendra cela lorsqu'il y aura plus de personnes exprimant la revendication que tuer des animaux pour la consommation doit être aboli.

A cause de l’utilisation du terme « véganisme », voilà ce qui reste dans l'esprit du public : « Ils ne mangent pas de produits d’origine animale, car ils sont véganes », ce qui ressemble beaucoup à : « Cet homme ne mange pas de cochon, car il est musulman ». On revient encore à une question de choix personnel. Par contre si l’on commence à utiliser des revendications politiques, on entendra : « Ils boycottent les produits d’origine animale, car ils réclament la fermeture des abattoirs / car ils demandent que l’eaclavage animal soit aboli / car ils veulent que la liberté des animaux à jouir de leur vie doit être respectée. »
 
Se définir comme végane fait passer le refus d’une pratique pour un simple mode de vie. 

Nous ne voulons pas que cette problématique soit perçue comme une question de choix personnel, donc lorsque quelqu’un nous demande pourquoi nous ne mangeons pas de produits d’origine animale, au lieu de dire : « je suis végane » nous devrions dire : « parce que je suis pour la fin des pratiques spécistes » « je boycotte ces produits, car je suis pour la fermeture des abattoirs » ou « parce que je suis pour l’interdiction de l’esclavage animal ».


c. Renforcement psychologique du spécisme

Le but de la stratégie de la conversion étant de convertir un maximum de gens au véganisme, les moyens pour y arriver sont souvent considérés comme peu importants. C’est pourquoi, beaucoup d’arguments sont utilisés qui n’ont aucun rapport avec l’oppression des animaux non humains. Par exemple, les arguments écologiques et concernant la santé sont présents sur beaucoup de flyers que nous distribuons. Et parfois il n’y a même pas un seul mot sur le spécisme.

Si nous vivions dans une société où l'on mange des enfants, critiquerions-nous cette pratique en disant qu'elle peut être mauvaise pour la santé des cannibales? Non, nous la critiquerions seulement en disant que les enfants ont un intérêt à continuer à vivre leur vie la plus longue et la plus heureuse possible et qu'il est absolument inacceptable de les sacrifier pour le plaisir gustatif de certains. Parler également de la santé des cannibales enverrait le message implicite que les intérêts des enfants ne sont pas si importants.

Imaginez une manifestation contre le génocide au Rwanda dans laquelle les participants auraient dit : « Ce massacre doit cesser immédiatement car il produit beaucoup trop de sang et cela pollue les nappes phréatiques. » Il est immoral d'utiliser des arguments écologiques ou de santé lorsqu'on critique une pratique qui provoque le meurtre des humains. Il est également immoral de les utiliser lorsqu'on critique une situation où des êtres sensibles d'une autre espèce sont tués.

La stratégie de la conversion nous pousse à utiliser chaque argument que nous pouvons trouver pour convertir les gens au véganisme, mais lorsque nous utilisons des arguments écologiques ou de santé, alors que cela concerne au premier plan des animaux dont on tranche chaque jour la gorge, nous envoyons implicitement un message spéciste inconscient selon lequel la vie de ces animaux n'est finalement pas si importante. 


IV. Que faire pour abolir l'exploitation des animaux non-humains ?

a. Exemple de l'abolition de l'esclavage humain

Prenons exemple sur les abolitionnistes de l'esclavage humain au 19e siècle. Ont-ils cherché à convertir la population au « hooganisme » (un mode de vie imaginaire qui exclurait tous les produits de l'esclavage humain) ?

Non ! Ils ont exprimé la revendication que l'esclavage humain doit être aboli et ont ouvert le débat. Et les activistes pour les droits des animaux devraient faire la même chose (voir: Social Movement Lessons From the British Antislavery Movement: Focused on Applications to the Movement Against Animal Farming, Kelly Witwicki, peut être consulté en ligne: https://www.sentienceinstitute.org/british-antislavery).

Par ailleurs, un important leader du mouvement abolitionniste états-unien, William Lloyd Garrison, a ridiculisé ouvertement la tactique de boycott de tous les produits issus de l'esclavage, indiquant qu'il s'agissait au mieux d'une distraction du travail abolitionniste plus important et, au pire, que cela blanchissait la conscience des habitants du Nord égoïstes au détriment des esclaves qui n'en profitaient pas (voir : Hinks, Peter and McKivigan, John, editors. Williams, R. Owen, assistant editor. Encyclopedia of antislavery and abolition, Greenwood Press, 2007, p. 268).


b. Stratégie moralement inacceptable

Imaginons qu'il y ait dans notre pays des camps de concentration dans lesquels des esclaves humains seraient utilisés pour produire différents produits, aurions nous dit simplement aux gens d'arrêter d'acheter ces produits ou aurions nous exprimé la revendication que ces camps de concentration doivent fermer ? Il est facile de comprendre qu'on aurait clairement exprimé qu'ils doivent fermer et qu'il aurait été totalement immoral de notre part de nous contenter de demander aux gens de changer leurs habitudes de consommation. De la même manière, les activistes pour les droits des animaux ne doivent pas simplement demander des changements dans les habitudes de consommation des individus, mais doivent réclamer l'interdiction du fait de tuer des animaux pour de simples habitudes alimentaires.

Ainsi non seulement la stratégie de la conversion est inefficace, fait passer l'exploitation animale pour une question de choix personnel et renforce inconsciemment le spécisme, mais de plus elle n'est pas une position moralement acceptable.


c. Stratégie des mouvements sociaux / du débat public

Si nous voulons abolir l'exploitation animale, nous devons exprimer une revendication demandant son abolition, la faire entendre de plus en plus dans la société et ainsi créer un débat public sur cette question.

Par exemple, lorsque nous écrivons des tracts ou des communiqués de presse, lorsque nous sommes interviewés, quand nous organisons des manifestations, à la place de la phrase individualiste: 
«Devenez végane!», nous devons exprimer des revendications claires pour un changement dans la société: «Le fait de tuer des animaux pour de simples habitudes alimentaires doit être aboli !».

Pour illustrer et pleinement comprendre la différence entre les deux stratégies, on peut analyser les exemples suivants.

Stratégie de la conversion

« Devenez végane ! »
« Le véganisme est bon pour la planète. »
« Le véganisme est bon pour la santé. »
« Les véganes font mieux l'amour. »
« Devenir végane est un choix rationnel. »
« La nourriture végane est délicieuse. »

Stratégie du débat public / des mouvements sociaux

« Nous demandons l'abolition du statut de propriété des animaux. »
« Il est temps de fermer les abattoirs ! »
« Le fait de tuer les animaux pour de simples habitudes alimentaires doit être interdit. »
« Les animaux doivent avoir un droit légal à la vie. »
« L'élevage, la pêche et la chasse, ainsi que la vente et la consommation de produits animaux, doivent être abolis. » (tiré de la résolution du mouvement mondial pour l'abolition de la viande : http://www.meat-abolition.org/fr/presentation )
« Nous demandons l'abolition de la pêche et de l'aquaculture. » (tiré de la Journée mondiale pour la fin de la pêche: https://www.end-of-fishing.org/fr/pourquoi-demander-la-fin-de-la-peche/ )
« La société doit condamner et combattre le spécisme comme elle combat le racisme et le sexisme. »
(tiré de la Journée mondiale pour la fin du spécisme: https://www.end-of-speciesism.org/fr/revendications/ )



Conclusion

Lorsque nous faisons de l'activisme ou parlons simplement pour défendre les animaux non-humains, nous devons nous assurer que notre message est compris comme une demande de changement qui concerne la société tout entière. Au lieu d'avoir peur de nous affirmer, nous devons avoir le courage de parler pour les animaux exploités et commencer à exprimer ce que nous voulons réellement : 

« Nous demandons l'abolition de l'esclavage animal ! ».

Edit : depuis la première publication de cet article (novembre 2010), des milliers d'activistes et associations animalistes utilisent cette stratégie des mouvements sociaux pour mettre en lumière l'injustice de la pratique consistant à tuer des animaux pour de simples habitudes alimentaires.
______


 

Saturday, November 6, 2010

Comment faire des revendications efficaces

qui deviennent acceptables pour l'opinion publique





Un but de l’action collective est d’exprimer une revendication politique et les arguments en faveur de celle-ci.

Pour qu’une revendication soit efficace et puisse être acceptée par l’opinion publique, le public doit être capable de lier une revendication à un principe connu, afin que la revendication semble être la continuation de quelque chose de déjà existant. Cela signifie qu'un bon argument pour défendre une revendication est un argument qui garantit l'insertion du point de vue du destinataire du message dans une structure connue. Une telle structure peut être un principe moral communément admis par la société, comme le refus de la violence.

Pour être compris par l'opinion publique un argument doit donc tirer ses origines de représentations préexistantes dans l'esprit du public. Et les représentations que nous souhaitons transmettre doivent s'ancrer dans les représentations disponibles.

Les principes communément acceptés jouent un rôle de filtre cognitif : seulement les revendications qui entrent dans ce filtre peuvent être comprises et acceptées par le public.

Il est important de faire entrer les revendications radicales par ce filtre cognitif afin qu'elles puissent entrer dans la sphère du débat public. Lorsque ce n’est pas le cas, les personnes exprimant la revendication sont étiquetées comme étant extrémistes et leur message n’est pas entendu par la société ou est grossièrement défiguré. Alors qu’en les liant à des principes moraux communément admis, elles sont bien plus facilement acceptées par les médias ainsi que l’opinion publique.



Exemples :

Structure connue :      Egalité et refus des discriminations
Revendication :           Les pratiques spécistes doivent être éliminées

Argumentation :

Notre société est pour l'égalité et contre les discriminations. Le sexisme et le racisme sont aujourd'hui considérés comme arbitraires et injustes, car peu importe de quelle « race » ou de quel genre nous sommes, nous avons des intérêts à protéger et nous voulons tous éviter la violence et la loi du plus fort. Et les humains ne sont pas les seuls à avoir des intérêts ou à vouloir éviter la violence ou la loi du plus fort, c'est aussi le cas des animaux. Beaucoup d'auteurs qui ont analysé notre relation à d'autres animaux ont trouvé qu'elle est basée sur le spécisme, ce concept peut être compris par analogie avec le racisme et le sexisme, et représente l'idéologie qui considère que la vie et les intérêts des animaux peuvent être négligés, simplement parce qu’ils appartiennent à une autre espèce. Ces auteurs concluent que le spécisme est une discrimination irrationnelle et injuste puisque les êtres humains et les autres animaux ressentent des émotions et que, concernant notre capacité à ressentir la souffrance, nous sommes égaux. Cela signifie que considérer les animaux comme une simple ressource est spéciste et erroné. La justice exige que nous respections la vie et les intérêts des animaux en éliminant toutes les pratiques qui violent leurs intérêts simplement parce qu'ils proviennent d'une autre espèce.


Structure connue :      La violence est injuste
Revendication :           Les abattoirs doivent fermer

Argumentation :

Notre société condamne la violence. Frapper sans raison ou tuer sont des infractions pénales, car si nous pouvons éviter l'agression, nous sommes obligés de le faire. La violence contre les faibles est condamnée encore plus violemment. Et tout le monde convient que les animaux peuvent aussi souffrir de la violence et sont clairement faibles comparés aux humains et à leur technologie. Néanmoins, les abattoirs constituent la concrétisation la plus effroyable de la violence contre ces êtres sans défense. Notre société dit que la brutalité est mauvaise, pourtant elle tue des milliers d'animaux innocents chaque jour. Dans le même temps, des millions de véganes et végétariens dans le monde montrent qu'il n'est pas nécessaire de tuer les animaux pour la nourriture, ce qui signifie que la violence des abattoirs est injustifiable. Les principes fondamentaux de non-violence et de protection des faibles doivent être respectés. Les pratiques injustes et violentes du passé ont été abolies ou réduites, telles que l'esclavage ou la torture publique. Ils étaient également ancrés dans la conscience collective au point que certains pensaient qu'ils étaient éternels. Mais l'histoire a montré le contraire, parce que l'évolution morale des êtres humains est un phénomène qui persiste au fil du temps et on peut facilement imaginer qu'un jour les abattoirs seront considérés comme un symbole d'injustice et de barbarie. Commencer à les fermer aujourd'hui est exigé non seulement par nous mais par les milliers d'animaux dont la gorge est coupée en ce moment même dans une société qui ne condamne la violence qu'avec des mots.


Structure connue :      La loi du plus fort est injuste
Revendication :           Les animaux ne doivent plus être considérés comme du matériel biologique

Argumentation :

Tous s'accordent à dire que la loi du plus fort est injuste et que personne ne voudrait être réduit à l'état de chose par quelqu'un de plus puissant. Imaginez par exemple qu'en lisant attentivement ce texte, une soucoupe volante surgisse à proximité. Elle est équipée de mécanismes technologiques très compliqués et a été construite par des êtres plus intelligents que les humains. Alors que vous continuez à lire, vous entendez soudainement un bruit étrange, vous vous retournez et vous vous rendez compte que les êtres humanoïdes vêtus étrangement vous approchent. Ils ont des outils menaçants. Vous commencez à paniquer et soudainement vous obtenez une sorte de décharge électrique qui vous blesse et vous oblige à aller de l'avant. Ces extraterrestres vous forcent à entrer dans un véhicule singulier. Il fait sombre mais vous pouvez voir d'autres humains qui ont peur comme vous. Vous sentez que le véhicule bouge, mais vous ne savez pas où il va. Soudain, il s'arrête et les extraterrestres ouvrent la porte. Ils vous forcent à sortir avec les mêmes outils qui vous font souffrir. Vous arrivez dans un endroit macabre où vous voyez des cages et entendez des cris. Vous avez peur. Ces étrangers vous mettent dans une cage, vous êtes totalement horrifiés, vous luttez avec toute votre énergie, mais c'est inutile. Ces extraterrestres veulent vous utiliser comme matériel biologique pour leurs expériences afin de sauver des vies extraterrestres. Malgré le fait que ces extraterrestres ont un QI moyen de 3’500 et ont certaines capacités développées qui manquent aux humains, vous pensez probablement que ces pratiques sur des êtres humains innocents, effectuées juste parce qu'ils sont moins intelligentes et plus faibles que ces extraterrestres sont injustes et doivent être arrêtées. Cela s’explique par le fait que nous sommes tous contre la loi du plus fort. L’on pourrait même argumenter que puisque ces extraterrestres sont plus intelligents, ils devraient plus facilement comprendre que leurs actions sont injustes. La même chose est vraie pour notre utilisation des animaux dans les laboratoires: éthiquement la situation est identique dans les deux cas. Si les expériences faites par ces extraterrestres sont injustes, alors notre utilisation d’êtres sensibles en tant que simple matériel biologique est également injuste parce qu'elles sont toutes deux des manifestations de la loi du plus fort qui doit être éliminée dans toute société civilisée.


Structure connue :                  Il faut lutter contre la crise environnementale et se baser sur la science
Revendication :                       Les animaux doivent être considérés comme nos concitoyens

Argumentation :

En ces temps de crise environnementale, où nous critiquons avec de plus en plus de véhémence des pratiques comme la déforestation ou la pollution des rivières et des océans, nous pouvons facilement comprendre qu'elles sont les conséquences logiques de la domination des humains sur tous les autres êtres sensibles de la planète. Si les humains respectaient les animaux en tant qu'êtres sensibles ayant une valeur inhérente qui ne peut être violée pour les besoins futiles et commerciaux des humains, nous ne nous permettrions pas de détruire leur habitat en abattant les forêts ou en polluant l’endroit même où ils vivent. Parallèlement à cela, nous pouvons voir que les éthologues ont récemment trouvé que la conscience de soi, longtemps considérée comme caractéristique des humains, n'est pas seulement présente chez les singes, les dauphins et les éléphants, mais est même commune chez certains oiseaux comme les pies qui peuvent également se reconnaître dans le miroir. De qui cette planète est-elle l'environnement? Pour qui doit-elle devenir un lieu durable? Les humains ne sont pas les seuls habitants sensibles de la Terre. D'autres animaux ont également intérêt à profiter de leur vie et à avoir un habitat conforme à leurs besoins. Désormais, nous ne pouvons plus continuer à considérer les animaux comme une ressource ou comme de simples fonctions d'un écosystème. Ce sont des êtres individuels qui ressentent des émotions, ont leurs propres intérêts et désirs. Il est temps pour nous de les considérer comme nos concitoyens avec qui nous partageons cette terre.

Ces exemples montrent que les principes moraux communément admis permettent de rendre acceptables les revendications des activistes auprès de l'opinion publique.

Cet article est basé sur la lecture de l'ouvrage de sociologie "Argumenter dans un champ de forces", Francis Chateauraynaud, éd. Petra, 2011.